5.
Date limite de
fraîcheur
On peut être grand, brun, et pleurer. Pour ce faire, il suffit de découvrir tout d’un coup que l’amour dure trois ans. C’est le genre de découverte que je ne souhaite pas à mon pire ennemi – ce qui est une figure de style puisque je n’en ai pas. Les snobs n’ont pas d’ennemis, c’est pourquoi ils disent du mal de tout le monde : pour essayer d’en avoir.
Un moustique dure une journée, une rose trois jours. Un chat dure treize ans, l’amour trois. C’est comme ça. Il y a d’abord une année de passion, puis une année de tendresse et enfin une année d’ennui.
La première année, on dit : « Si tu me quittes, je me tue. »
La seconde année, on dit : « Si tu me quittes, je souffrirai mais je m’en remettrai. »
La troisième année, on dit : « Si tu me quittes, je sabre le Champagne. »
Personne ne vous prévient que l’amour dure trois ans. Le complot amoureux repose sur un secret bien gardé. On vous fait croire que c’est pour la vie alors que, chimiquement, l’amour disparaît au bout de trois années. Je l’ai lu dans un magazine féminin : l’amour est une poussée éphémère de dopamine, de noradrénaline, de prolactine, de lulibérine et d’ocytocine. Une petite molécule, la phényléthylamine (PEA), déclenche des sensations d’allégresse, d’exaltation et d’euphorie. Le coup de foudre, ce sont les neurones du système limbique qui sont saturés en PEA. La tendresse, ce sont les endorphines (l’opium du couple). La société vous trompe : elle vous vend le grand amour alors qu’il est scientifiquement démontré que ces hormones cessent d’agir après trois années.
D’ailleurs, les statistiques parlent d’elles-mêmes : une passion dure en moyenne 317,5 jours (je me demande bien ce qui se passe durant la dernière demi-journée…), et, à Paris, deux couples mariés sur trois divorcent dans les trois ans qui suivent la cérémonie. Dans les annuaires démographiques des Nations Unies, des spécialistes du recensement posent des questions sur le divorce depuis 1947 aux habitants de soixante-deux pays. La majorité des divorces ont lieu au cours de la quatrième année de mariage (ce qui veut dire que les procédures ont été enclenchées en fin de troisième année). « En Finlande, en Russie, en Egypte, en Afrique du Sud, les centaines de millions d’hommes et de femmes étudiés par l’ONU, qui parlent des langues différentes, exercent des métiers différents, s’habillent de façon différente, manipulent des monnaies, entonnent des prières, craignent des démons différents, nourrissent une infinie variété d’espoirs et de rêves… connaissent tous un pic des divorces juste après trois ans de vie commune. » Cette banalité n’est qu’une humiliation supplémentaire.
Trois ans ! Les statistiques, la biochimie, mon cas personnel : la durée de l’amour reste toujours identique. Coïncidence troublante. Pourquoi trois ans et pas deux, ou quatre, ou six cents ? À mon avis, cela confirme l’existence de ces trois étapes que Stendhal, Barthes, et Barbara Cartland ont souvent distinguées : Passion-Tendresse-Ennui, cycle de trois paliers qui durent chacun une année – un triangle aussi sacré que la Sainte Trinité.
La première année, on achète des meubles.
La deuxième année, on déplace les meubles.
La troisième année, on partage les meubles.
La chanson de Ferré résumait tout : « Avec le temps on n’aime plus. » Qui êtes-vous pour oser vous mesurer à des glandes et des neurotransmetteurs qui vous laisseront tomber inéluctablement à la date prévue ? À la rigueur on pouvait discuter le lyrisme du poète, mais contre les sciences naturelles et la démographie, la défaite est assurée.